• CAMEROUN - Les Cases mousgoums (ou cases "obus")

    CAMEROUN - Case "obus"

    Les cases obus tirent leur nom de leur forme conique, striée de nombreuses cannelures qui servent à la fois d’échafaudage pendant la construction, de contreforts et de système d’évacuation des eaux. Habitations traditionnelles des tribus Mousgoums, elles ont disparu au profit des cases rondes ordinaires. En effet, la construction d’une case nécessite près de 6 mois. Elles peuvent atteindre 8 m de haut mais en règle générale elles sont hautes de 3 à 4 mètres. La case est également très sensible aux pluies puisqu’elle est construite uniquement en argile, paille et colle végétale.

    La composition d’une habitation Mousgoum comporte traditionnellement 5 cases. Une pour le chef de famille, 2 pour les femmes, une pour la cuisine et une pour le bétail. Au centre, se trouve un grenier à mil. Les 5 cases sont reliées par un mur en argile uniquement accessible par une porte verrouillée la nuit. A l’extérieur de l’enceinte, l’arbre à palabre est aménagé avec un ensemble de « sièges » en terre.

    Les dernières cases originelles ont disparu dans les années 1970. Ce n’est que dans les années 1980 qu’une opération de sauvetage du patrimoine architectural a été entreprise dans un but touristique.

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    Le matériau de construction est un mélange composé d’herbes suksukiy, d’excréments de chèvres et de terre argileuse. On peut considérer la terre comme le matériau de base, les herbes comme le tissu structurel de la matière, et les excréments comme un « ciment colle » liant l’ensemble. Complètement naturel et accessible à tous, ce mélange composé de 35% d’herbes, 60% de terre et 5% d’excréments est de haute qualité environnementale.

    L’ensemble de la concession musgum :

    « Plusieurs maisons disposées en cercle constituent une ferme. Le maître habite seul une maison qui se distingue le plus souvent par sa grande taille. Chacune de ses femmes possède sa propre habitation, dans laquelle elle  vit avec ses jeunes fils et filles célibataires. Quelques-unes de ces habitations sont parfois reliées avec celle du maître par un couloir et dans ce cas ne possèdent pas toujours une ouverture propre. Les fils adultes et célibataires habitent ensemble dans une maison à part. Au milieu de la ferme se trouvent des urnes en argile, sur pilotis, pour les céréales. Elles sont entourées d’une tresse en rameaux souples. Pendant la saison des pluies, on y attache des vanneries pour que la pluie ne puisse pas délaver les parois. Toute la ferme est entourée d’un mur de glaise dans lequel est pratiqué un passage étroit. Celui-ci est fermé la nuit avec des branches épineuses. Devant la maison du maître, on trouve souvent, en guise de hall d’entrée, une maison rectangulaire peu esthétique, qui imite les constructions des Kotoko (…). Après sa mort, le Musgu est enterré dans sa maison. On abat la coupole de son habitation afin que personne ne puisse l’utiliser. » (G. Von Hagen)

    « Chaque famille habite une ferme ; celle-ci comprend une série de maisons coniques en banko, reliées entre elles par des magasins, et tout l’ensemble, disposé suivant un cercle, vient se clore sur une barrière de rondins ». (Le commandant Lenfant)

    « (…) On trouve (…) dans chaque grand ensemble domestique une maison spéciale qui possède toutes les installations nécessaires à la production de la bière. »

    Les descriptions des cases par des Européens

    §  … L’extérieur des cases :

    Un administrateur militaire allemand, G. Von Hagen, en 1912 : « Le plus merveilleux dans le pays sont les maisons. Lorsque l’on descend le fleuve Logone et que l’on voit les constructions pour la première fois, on croit être arrivé dans un pays de conte de fées. On dirait qu’une main magique a transféré les coupoles du Kremlin dans la steppe africaine où le soleil tropical les a colorées de brun-rouge. La construction de ces maisons en forme de coupoles est réalisée de la façon suivante : sur une circonférence de 4 à 5 m de diamètre, on monte un muret de 30 cm de glaise et ainsi de suite jusqu’à l’achèvement de l’édifice. Les parois se rapprochent progressivement en forme de coupole jusqu’à une ouverture au sommet de 40 cm environ. A travers celle-ci, l’air et la lumière peuvent pénétrer dans la maison et la fumée en sortir. Par temps de pluies, elle est fermée par un couvercle de paille en forme de chapeau. Celui-ci pend généralement sur le côté de la maison, attaché à un cordon qui, passant par le trou du sommet, descend à l’intérieur. Avec ce cordon, il est possible de tirer le couvercle vers le haut, et avec un autre, qui pend à l’extérieur, on peut le redescendre. Comme entrée, on utilise une ouverture ovale de 1 m de haut et d’un demi-mètre de large. L’ouverture est entourée d’un cadre en glaise qui est en relief. Ce cadre peut, soit suivre le bord de l’ouverture, soit prendre la forme d’un trapèze. La porte est fermée au moyen d’une natte. On a pourvu les murs extérieurs de la maison de bourrelets et d’avancées pour éviter que la pluie ne creuse des sillons profonds. Ces bourrelets ne sont pas projetés après la finition de la maison, mais sont confectionnés au fur et à mesure avec le mur. Les murs intérieurs sont lisses. Toute la maison, construite de glaise et de paille hachée, sera après son achèvement enduite d’un mélange de bouse et de glaise afin de la protéger contre la pluie. »

    André Gide, lors de son voyage au Tchad en 1926 : « La case des Massa (Musgum) ne ressemble à aucune autre, il est vrai ; mais elle n’est pas seulement « étrange » ; elle est belle : ce n’est pas tant son étrangeté que sa beauté, qui m’émeut. Une beauté si parfaite, si accomplie, qu’elle parait toute naturelle. Nul ornement, nulle surcharge. (…) A l’extérieur, quantité de cannelures régulières, où le pied puisse trouver appui, donnent accent et vie à ces formes géométriques ; elles permettent d’atteindre le sommet de la case, souvent haut de sept à huit mètres (…). Cette case est faite à la main, comme un vase ; c’est un travail non de maçon, mais de potier. »

    Un rapport administratif de 1949 : « Manquant de bois, le Mousgoum avait adapté aux ressources du pays son habitat. Bien qu’en voie de disparition, les pittoresques cases obus se retrouvent encore à côté de Pouss et sur la rive tchadienne.  (…) On remarque de toutes les tailles, les plus élevées atteignent 7 à 8 mètres, les plus basses, 3 mètres environ. (…) Plusieurs cases groupées et reliées entre elles quelquefois par des couloirs étroits forment l’habitat d’une famille. »

    §  L’intérieur des cases :

    Les descriptions de l’intérieur de case obus sont peu nombreuses, mais la plupart font état d’intérieurs parfaitement aménagés et décorés : « A l’intérieur (…), les murs sont lisses, lustrés, vernissés (…). Dans un demi-jour de tombe étrusque, la famille vit-là, durant les plus chaudes heures du jour ; la nuit, le bétail vient la rejoindre : bœufs, chèvres et poules ; chaque bête a son coin réservé et tout reste à sa place, tout est propre, exact, ordonné. »

    Marc Allégret, compagnon d’André Gide, revient (toujours en 1926) sur cette « extraordinaire impression de propreté, d’ordre, de confort. Au fond, une vache, attachée à un piquet dans un petit espace réservé à elle et entouré d’un petit rebord (plutôt qu’un mur) de 20 cm de haut. A côté, un emplacement semblable où sont attachés huit chèvres et quelques cabris. Dans un coin, les poules sont enfermées dans une sorte de gros pot en terre, ouvert par le bas et fermé par une petite porte en paille tressée. Un petit feu de roseaux brûle sous une marmite, dans le foyer. Une femme assise sur une natte ; la fillette à ses côtés tient un bébé dans ses bras. Aux murs sont accrochés des filets, de petits paniers remplis de cailloux pour la danse, des épis de mil dans un ballot de paille tressée.  Les sagaies rangées dans un coin, retenues par deux fiches en bois dans le mur, pour qu’elles ne tombent pas. Les calebasses sont rangées sur les étagères et les pots sont empilés près du foyer. Un peu plus loin, une sorte de comptoir, d’un mètre cinquante de haut, est le lit où les Massa (Musgum) vont étendre leurs nattes pour dormir. Il sert de dressoir pour l’instant et on y a posé une calebasse de lait. Chaude atmosphère ; et cette promiscuité bien réglée avec les animaux n’est pas répugnante du tout. »

    Ces cases étaient de plus décorées : « Il y a un art chez les Massa (Musgum). Dans leurs cases d’une très grande sonorité, on rencontre sur les parois des dessins de couleur blanche, noire ou ocre : chevaux, chiens, cabris. Jusqu’à hauteur d’homme, des dessins en relief figurent de véritables lambris. Ces dessins sont peu compliqués. Ils se composent d’un assemblage de lignes droites ou brisées tracées en creux sur l’argile encore pâteuse et ressemblant fort aux dessins que l’on trouve sur les objets dus à l’industrie arabe en Algérie. » Les « mural painting » reflètent les activités des Musgum, la chasse, la pêche, l’élevage des poneys. Les décorations, en effet, sont celles de girafes, d’éléphants, de moutons… de grosses pirogues pleines de gens et surtout de cavaliers (…).

    La case obus est décrite comme fraîche pendant les moments de chaleur du milieu de la journée : « Quand on est à l’intérieur, sombre et frais, et que l’on regarde la campagne éblouissante et torride, on a l’air de regarder par le trou d’une serrure. » Stieber note que pendant la saison fraîche, en février, la température des bivouacs au bord du Logone descend jusqu’à 5°. En revanche, à Tékélé de même qu’à Mouskoum, elle ne tombe qu’à 10° « en raison de la présence des maisons d’où rayonnait la chaleur. »

    L’entassement des cases obus aurait ainsi un rôle de régulateur thermique pour les nuits de saison fraîche et serait, à l’opposé, autant de havres de fraîcheur pendant les périodes chaudes. Un autre avantage essentiel, c’est que le feu, qui est le fléau de tous les villages aux constructions de bois et de paille, n’a pas de prise sur un quartier de cases obus.

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    … Les villes musgums fortifiées

    Les premiers voyageurs signalent sur les rives du Logone une longue suite de « fermes », chacune au milieu de ses champs, mais aussi de curieuses bourgades entourées de murailles, en particulier sur la berge orientale.

    « Parfois les cases mousgous sont groupées en vastes villages entourés de hauts murs en terre battue, percés de rares et étroites portes ; la construction même du mur a créé un fossé contournant complètement l’enceinte. » (Delevoye)

    Les deux plus grandes villes des Musgums : Muskum/Mouskoum et Mala, font partie des villes fortifiées.

    « La fortification (…) se compose d’un simple mur d’enceinte qui entoure les fermes fortement serrées les unes contre les autres. Elle fait 5 à 6 mètres de haut et à son pied une épaisseur de trois à quatre mètres. (…) A trois ou quatre endroits, (dans des rentrants de la muraille,) des ouvertures de deux mètres de haut et un mètre de large, qui peuvent être fermées par des portes de bois. Au-dessus des portes se trouve une avancée où peuvent se tenir plusieurs hommes. Le plancher de cette avancée est percé de trous afin de pouvoir frapper à coups de lance ceux qui voudraient passer la porte. » (G. Von Hagen)

    Ces murailles sont le report sur la rive droite du Logone d’un mode de peuplement qui fonctionnait plus au nord-est, sur la rive orientale du Chari. Ces cités représentent, en fait, les reliques d’un mode d’habiter sur les bords du Logone, antérieur à l’habitat semi-dispersé ou dispersé.

    La défense de la cité (notamment contre les Kotoko, Bornu, Baguirmi et Fulbe) ne se limitait pas dans la présence de la seule muraille, mais dans l’entassement des cases obus qui dessinaient autant de petits fortins coalescents qu’il était facile de défendre. Une fois la muraille franchie, l’ennemi devait prendre une à une ces cellules, ce qui donnait le temps aux femmes et aux enfants de fuir par le fleuve et de disparaître dans les herbes ou les végétations ripicoles denses de Mimosa pigra.

    En février 1905, Stieber fait la description de la cité de Muskum, qu’il situe au cœur du peuplement mousgoum : « La ville de Muskum est entourée d’une muraille élevée (encore visible dans les années 1980). Muskum est une ville de 800 à 1000 cases qui forment, ainsi qu’à Tekele, des espèces de rues où les entrées se pressent étroitement les unes contre les autres, et dont la traversée n’est pas sans dangers pour les genoux et les sabots des chevaux, et qui sont entourées de murs forts et élevés. Entre les différents coins et recoins des maisons et des rues, des plantations de tabac qui s’y glissent en forme de jardins donnent à l’ensemble un aspect confortable. Mala est la plus grande ville des Musgums (…). Je chevauchais avec mes cavaliers par les rues, qui offraient exactement la même image que Muskum, étroites, avec des rentrants, également difficiles à emprunter pour les bêtes comme pour les hommes, disposant de peu de grandes places, possédant de vertes plantations de tabac habituelles et présentant partout l’image d’une relative aisance et d’un certain bien-être. »

     

    Sources :

    « La Case Obus, Histoire et reconstitution », de Christian Seignobos et Fabien Jamin, Editions Parenthèses.

    http://cameroun.unblog.fr/2010/11/18/cases-obus-mousgoums-de-mourla/