• Etats-Unis - Harlem : la population noire diminue

    Depuis près d’un siècle, Harlem est l’emblème de l’Amérique noire urbaine. Quand on connaît l’attrait que ce quartier exerce sur les jeunes actifs africains-américains, ses enclaves résidentielles historiques et ses institutions culturelles, on voit que sa réputation de capitale de l’Amérique noire ne risque guère de changer. Pourtant, le quartier connaît une transformation profonde. Dans le Grand Harlem, qui s’étend de l’East River à l’Hudson River, dans le nord de Manhattan, les Noirs ne sont plus majoritaires. Cela fait une dizaine d’années déjà, mais cette évolution n’avait jusqu’ici pas vraiment retenu l’attention. Aujourd’hui, seulement quatre habitants du Grand Harlem sur dix sont noirs.

    Central Harlem, la partie centrale du quartier, a connu un changement encore plus prononcé. Six habitants sur dix sont noirs, mais à peine la moitié de la population de Central Harlem est née aux Etats-Unis. Depuis l’an 2000, la proportion d’habitants blancs a plus que doublé, pour dépasser les 10%. La population hispanique, auparavant concentrée dans East Harlem, a progressé de 27% depuis 2000. Harlem « est une fois encore à la veille d’un changement crucial », assure Michael Henry Adams, un historien spécialisé dans ce quartier, où il réside.

    Harlem est loin d’être le seul quartier à forte minorité ethnique de New York à s’être métamorphosé. Le quartier de Little Italy a ainsi été englouti par l’afflux d’immigrés repoussant les frontières de Chinatown, combiné à l’embourgeoisement progressif de SoHo. Pourtant l’évolution de Harlem est sans pareille. Dans ce quartier qui, à partir des années 1960, fut dévasté par les démolitions en vue de réaménagements et par les incendies, et où de nombreux immeubles avaient été abandonnés, les nouveaux habitants ont moins délogé les anciens habitants que repeuplé la zone. Pendant les seules années 1970, la population noire du centre de Harlem a reculé de plus de 30%. « Le quartier s’est vidé », confirme Howard Dodson, directeur du Schomburg Center for Research in Black Culture à Harlem. Parallèlement, l’arrivée de Blancs non-hispaniques s’est accrue. Selon le recensement de 1990, seuls 672 Blancs vivaient dans le centre de Harlem. En 2000, ils étaient déjà 2200. En 2008, le dernier recensement en a dénombré près de 13 800.

    Un lieu de vie plus attrayant et plus diversifié

    « Il y a beaucoup de nouveaux logements qui permettent aux nouveaux arrivants de s’installer sans déloger ceux qui sont déjà là », assure Joshua S. Bauchner, un Blanc qui a emménagé à Harlem en 2007. « Dans Manhattan, il n’y a pas 36 directions dans lesquelles se déplacer : aller vers le nord, et Harlem reste l’une des dernières options. » En 1910, les Noirs représentaient environ 10% de la population de Central Harlem. En 1930, ce chiffre était passé à 70% sous l’effet des grandes migrations du sud des Etats-Unis et de l’afflux de population quittant Downtown Manhattan, où les Noirs ne se sentaient pas les bienvenus. C’est en 1950 qu’ils étaient le plus nombreux, tant en part de la population (98%) qu’en nombre absolu (233 000). Selon le recensement de 2008, les 77 000 Noirs de Central Harlem ne représentaient plus que 62% de la population.

    Le nombre d’habitants noirs du Grand Harlem a atteint son apogée en 1950, avec 341 000 personnes, mais c’est seulement en 1970 qu’ils furent proportionnellement les plus nombreux, représentant 64% de la population. En 2008, ils n’étaient plus que 153 000 et ne représentaient que 41% de la population. Pour certains experts, ce déclin de la population noire est sans doute surestimé, car les populations les plus pauvres, très présentes à Harlem, sont souvent mal recensées. Les projets immobiliers en cours et la hausse des prix de la pierre risquent de contraindre les plus pauvres à partir, mettent en garde d’autres spécialistes, qui déplorent par ailleurs que la municipalité, lorsqu’elle était le principal propriétaire du quartier, n’ait pas favorisé l’accès à la propriété des habitants de Harlem. Le départ d’habitants noirs et l’arrivée d’autres populations constituent, aux yeux d’autres observateurs, le symptôme positif de la disparition des barrières dans d’autres quartiers et montrent que Harlem est devenu un lieu de vie plus attrayant.

    « Harlem est redevenu ce qu’il était au début des années 1930, à savoir un quartier où les Noirs prédominent, mais où habitent aussi d’autres groupes », note Andrew A. Beveridge, sociologue au Queens College. Pour Howard Dodson, une source ancienne de ressentiment demeure, car les Noirs continuent de représenter une part infime des propriétaires du quartier. « Certains voudraient que Harlem reste une ‘enclave noire’, mais le seul moyen pour cela est de faire en sorte que les Noirs possèdent le quartier, estime-t-il. Cela dit, vous ne pouvez pas d’un côté dire que vous refusez que s’exerce contre vous une discrimination de la part d’individus qui veulent vous empêcher de vivre où vous le souhaitez et, de l’autre, affirmer que Harlem doit être réservé aux habitants noirs. » « Reste à savoir si cette transformation est une bonne chose, concède-t-il. Pour ma part, je n’en sais encore rien. »

    Source : Courrier International.