• L'esclavage en France (3) : la législation concernant les Noirs en France au 18ème siècle

    There are no slaves in France, Sue Peabody

    Chronologie des textes de loi relatifs au statut des Noirs en France…

    ¤ Edit d'octobre 1716 (= *déroge* au Principe du sol libre)

    - L'Edit d'octobre 1716 déroge clairement au Principe du sol libre

    ¤ Déclaration du 15 décembre 1738 (= confirme l'Edit de 1716 et durcit la législation pour le maître et l'esclave)

    Le non-respect des conditions n'entraîne plus l'application d'office du Principe du sol libre mais une confiscation de l'esclave au nom du Roi et un retour aux colonies. Néanmoins, ni l'Edit ni la Déclaration ne sont ratifiés par le Parlement de Paris. Dès lors, ils ne seront généralement pas suivis, sauf durant les années 1740 et 1750.

    ¤ Ordonnance du 5 avril 1762 (= ordonne le recensement de tous les noirs de France)

    ¤ Circulaire du 30 juin 1763 (= ordonne le retour des esclaves aux colonies et interdit aux noirs de France de se déplacer sur le territoire)

    La sanction de la circulaire étant la confiscation de l'esclave au profit du roi.

    ¤ Lettres patentes du 3 septembre 1776 (= volontairement raciales pour être plus efficaces, elles suspendent toute action en justice pour s'affranchir)

    Ces lettres patentes sont, pour la première fois, anti-noirs, et suspendent toute action en justice pour s'affranchir. Elles préparent la voie à la future Police des Noirs.

    ¤ Ordonnance du 16 avril 1777 (= vise le recensement des noirs, libres ou esclaves, en France)

    ¤ Déclaration pour la Police des Noirs du 9 août 1777 (= interdit l'entrée sur le territoire de toutes les personnes de couleur ; première législation royale basée sur la couleur de la peau)

    C'est la 1ère législation royale basée sur la couleur de la peau. En effet, la monarchie a dû contourner le refus du Parlement de Paris d'enregistrer une loi contenant le mot "esclave" ou "libre", en adoptant une terminologie raciale ("nègre" ou "noir").

    ¤ Arrêt du Conseil du 7 septembre 1777 (= amoindrit les effets de la Police des Noirs)

    ¤ Arrêt du Conseil du 11 janvier 1778 (= les noirs recensés doivent porter une carte d'identification)

    ¤ Arrêt du Conseil du 5 avril 1778 (= proclame l'interdiction des mariages interraciaux)

    ¤ Arrêt du Conseil, années 1780 (= interdit aux gens de couleur de prendre les titres de "Sieur" et "Dame")

    ¤ Comité législatif convoqué en 1782 par le Ministre de la Marine (De Castries) pour discuter de la question des noirs en France

    ¤ Proclamation de l'Assemblée Constituante, 15 mai 1791 : l'Assemblée Constituante accorde le statut de "citoyen libre" aux noirs nés de parents libres (pas affranchis). (*)

    ¤ Proclamation du Roi du 28 septembre 1791 : le gouvernement codifie la maxime "Tout individu est libre aussitôt qu'il est entré en France".

    ¤ Proclamation de l'Assemblée Constituante du 24 avril 1792 : l'Assemblée Constituante étend le statut à tous les gens de couleur libres. (*)

    ¤ Loi du 4 février 1794 : abolition de l'esclavage.

    ¤ Loi du 20 mai 1802 : Napoléon rétablit l'esclavage mais la France a déjà perdu Saint-Domingue (Haïti), sa majeure colonie, après la révolution de Toussaint Louverture. La Police des noirs est réintroduite.

    ¤ Décret du 27 avril 1848 : avec la révolution de 1848, il y a l'abolition définitive de l'esclavage dans les colonies restantes.

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    ¤ Edit d'octobre 1716 (= *déroge* au Principe du sol libre)

    - L'Edit d'octobre 1716 *autorise* les maîtres (propriétaires colons et officiers militaires) à amener temporairement leurs esclaves en France dans deux cas : pour leur donner une instruction religieuse ou pour leur apprendre le commerce. Le maître doit également accomplir un certain nombre de formalités, dont le non-respect entraînera l'application du Principe du sol libre, autrement dit, la libération de l'esclave. Si le maître n'a plus de connections avec les colonies (ex : il a vendu ses terres ou n'est plus détaché là-bas, en tant que militaire), il ne pourra pas non plus garder l'esclave.

    Joly de Fleury, membre du Parquet du Parlement de Paris, est un sympathisant janséniste (contrairement au Roi qui est catholique). Or, le jansénisme associe le Principe du sol libre et le christianisme ; dès lors, la France, en tant que nation chrétienne se doit d'honorer cette tradition de liberté. Il décide donc de refuser d'enregistrer l'Edit. Ce dernier n'étant pas enregistré par le Parlement de Paris, son application est alors rendue difficile.

    NB : cet Edit qui déroge clairement au Principe du sol libre interdisait cependant la vente et le commerce d'esclaves en France !

    ¤ Déclaration du 15 décembre 1738 (= confirme l'Edit de 1716 et durcit la législation pour le maître et l'esclave)

    - Peu après le procès Boucaux contre Verdelin, en réaction, la Déclaration du 15 décembre 1738 est publiée. Elle confirme l'Edit de 1716 et durcit la législation, notamment en rajoutant une condition restrictive (le séjour de l'esclave sur le continent est limité à 3 ans). De plus, le non-respect des conditions n'entraîne plus l'application d'office du Principe du sol libre mais une confiscation de l'esclave au nom du Roi et un retour aux colonies. La Déclaration de 1738 interdit également l'affranchissement par le maître, sauf à sa mort (par testament). Néanmoins, ni l'Edit ni la Déclaration ne sont ratifiés par le Parlement de Paris. Dès lors, ils ne seront généralement pas suivis, sauf durant les années 1740 et 1750.

    ¤ Ordonnance du 5 avril 1762 (= ordonne le recensement de tous les noirs de France)

     - Le 5 avril 1762, une ordonnance réclamant l'enregistrement de tous les noirs en France, libres ou pas, est enregistrée et publiée. Il apparaît, en effet, que les édits précédents étaient rarement respectés, concernant les formalités de recensements des esclaves, aucune sanction n'étant prévue. L'ordonnance de 1762 connaîtra à peu près le même destin, d'ailleurs.

    ¤ Circulaire du 30 juin 1763 (= ordonne le retour des esclaves aux colonies et interdit aux noirs de France de se déplacer sur le territoire)

    - Après l'ordonnance de 1762, le ministre de la Marine de Louis XV, Choiseul, publie une circulaire ordonnant le retour de tous les esclaves aux colonies et l'interdiction à tous les noirs, libres ou pas, de voyager en France, et cela à cause du nombre croissant de relations interraciales, qui créeraient une population de sang-mêlé chaque jour plus nombreuse. La sanction de la circulaire étant la confiscation de l'esclave au profit du roi. En réaction, le lobby des colons s'oppose fortement à cette mesure, arguant que les noirs de France, trop instruits par leur séjour en métropole, communiqueraient "leurs connaissances et leurs lumières" aux noirs des îles et que les conséquences en seraient désastreuses. Cette circulaire ne sera pas pleinement respectée, en pratique, et le ministre devra réitérer de nouvelles mesures allant dans ce sens, en septembre 1766 et en 1769.

    ¤ Lettres patentes du 3 septembre 1776 (= volontairement raciales pour être plus efficaces, elles suspendent toute action en justice pour s'affranchir)

    - Louis XVI critique la prolifération des affaires en justice dans lesquelles des noirs agissent pour obtenir leur liberté. Ces lettres patentes sont, pour la première fois, anti-noirs, et suspendent toute action en justice pour s'affranchir. Le terme "noir" va alors remplacer celui de "nègre" dans les documents officiels, afin d'englober à la fois les noirs affranchis et les noirs esclaves. Ces lois sont enregistrées par le Parlement de Paris pour éviter l'échec des législations antérieures. Elles préparent la voie à la future Police des Noirs.

    ¤ Ordonnance du 16 avril 1777 (= vise le recensement des noirs, libres ou esclaves, en France)

    - Poncet de la Grave (le procureur du Roi) propose l'ordonnance à l'Amirauté de France -qui est ratifiée, puis publiée dans les rues à Paris, à Bordeaux, à Rouen- enjoignant aux maîtres d'enregistrer leurs (domestiques) noirs, sous peine d'amende ; et enjoignant aux noirs libres de faire de même (mais sans encourir de pénalités). Cependant, comme les autres fois, l'ordonnance n'aura pas beaucoup d'effet, et seulement 189 noirs seront enregistrés (après la prorogation du délai et l'augmentation du montant de l'amende).

    ¤ Déclaration pour la Police des Noirs du 9 août 1777 (= interdit l'entrée sur le territoire de toutes les personnes de couleur ; première législation royale basée sur la couleur de la peau)

    - Pour freiner l'arrivée des noirs dans la capitale, l'administration royale promulgue la Déclaration pour la Police des Noirs, qui interdit l'entrée sur le territoire de tous les noirs/métis/et autres personnes de couleur, et instaure dans chaque port français un lieu de détention pour les esclaves dont les maîtres sont de passage en France. C'est la 1ère législation royale basée sur la couleur de la peau. En effet, la monarchie a dû contourner le refus du Parlement de Paris d'enregistrer une loi contenant le mot "esclave" ou "libre", en adoptant une terminologie raciale ("nègre" ou "noir"). Cette stratégie fonctionne et la Déclaration est enregistrée par le Parlement et l'Amirauté de Paris, le 5 septembre 1777.

    ¤ Arrêt du Conseil du 7 septembre 1777 (= amoindrit les effets de la Police des Noirs)

    - Seulement 2 jours après l'enregistrement de la Police des Noirs, cet arrêt du Conseil amoindrit les effets de la nouvelle loi, en allouant un délai supplémentaire de 2 mois aux maîtres ayant enregistré leurs esclaves, pour garder ceux-ci en France. On observe alors une augmentation des enregistrements des noirs, en particulier à Paris. Le même phénomène se produit quand, par la suite, il sera demandé aux noirs de porter des "cartouches" ou cartes d'identification : le nombre d'enregistrements augmentera en 1778 et 1783. Entre 1777 et 1789, 765 personnes de couleur seront enregistrées à Paris, auprès du clerc de l'Amirauté de France, ce qui démontre une nette progression du nombre de noirs depuis 1762.

    ¤ Arrêt du Conseil du 11 janvier 1778 (= les noirs recensés doivent porter une carte d'identification)

    - Le roi rend un Arrêt du Conseil demandant à ce que tous les noirs enregistrés portent une carte d'identification, sous peine d'être renvoyés aux colonies.

    ¤ Arrêt du Conseil du 5 avril 1778 (= proclame l'interdiction des mariages interraciaux)

    ¤ Arrêt du Conseil, années 1780 (= interdit aux gens de couleur de prendre les titres de "Sieur" et "Dame")

    ¤ Comité législatif convoqué en 1782 par le Ministre de la Marine (De Castries) pour discuter de la question des noirs en France

    - En 1782, De Castries, le remplaçant de Sartine, convoque un comité législatif pour répondre à 2 questions : 1/ quelle est la situation actuelle des noirs et mulâtres vivant en France ? 2/ Quelle action le gouvernement doit-il prendre à leur égard ?

    Pour Chardon, les esclaves arrivés en France avant la Police des noirs et enregistrés comme prévu auprès de l'Amirauté, peuvent légalement rester en France. Il prescrit qu'ils doivent être tenus de renouveler leur déclaration tous les mois, et qu'à défaut, ils soient confisqués et expulsés aux colonies. Enfin, il recommande que les tribunaux de l'Amirauté n'acceptent plus les demandes d'affranchissement.

    Le comité législatif, chargé de se prononcer sur les suggestions de Chardon, désapprouve fortement le fait que l'esclavage puisse exister en France : tous les noirs en France sont libres, et réfute l'assertion de Chardon selon laquelle des lois françaises reconnaîtraient l'esclavage. Cependant, il est d'accord sur l'objet ultime de se débarrasser des noirs, et recommande de les renvoyer aux colonies, petit à petit (pour plus de sûreté).

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    ¤ Proclamation de l'Assemblée Constituante, 15 mai 1791 : l'Assemblée Constituante accorde le statut de "citoyen libre" aux noirs nés de parents libres (pas affranchis). (*)

    ¤ Proclamation du Roi du 28 septembre 1791 : le gouvernement codifie la maxime "Tout individu est libre aussitôt qu'il est entré en France".

    ¤ Proclamation de l'Assemblée Constituante du 24 avril 1792 : l'Assemblée Constituante étend le statut à tous les gens de couleur libres. (*)

    ¤ Loi du 4 février 1794 : abolition de l'esclavage.

    ¤ Loi du 20 mai 1802 : Napoléon rétablit l'esclavage mais la France a déjà perdu Saint-Domingue (Haïti), sa majeure colonie, après la révolution de Toussaint Louverture. La Police des noirs est réintroduite.

    ¤ Décret du 27 avril 1848 : avec la révolution de 1848, il y a l'abolition définitive de l'esclavage dans les colonies restantes.

    Source : "There are no slaves in France", de Sue Peabody.