• L'esclavage en France (4) : les demandes en justice pour la liberté

    L'esclavage en France (4) : les demandes en justice pour la liberté

    ¤ En 1738, lors du procès Jean Boucaux [esclave] contre Verdelin [maître], les défenseurs du principe du Sol Libre font valoir le droit coutumier français en matière d'affranchissement. Les exemples coutumiers qu'ils prennent pour appuyer leur thèse de l'existence de ce principe sont subordonnées à des conditions préalables (= que le maître soit français et catholique, que l'esclave soit baptisé, que le maître donne son consentement, qu'il s'agisse de "villes libres", comme Toulouse, Bordeaux, etc.) Les défenseurs parviennent à le présenter comme un principe général, subordonné à une seule condition (= poser le pied sur le sol français) et applicable de plein droit.

    Lors des débats du procès, peu d'allusions sont faites à la race de l'esclave, et reposent surtout sur la condition de l'esclave.

    Finalement, Jean Boucaux gagne le procès et est libéré. Malheureusement, Verdelin interjette appel directement auprès du Roi et obtient gain de cause. En échange de sa liberté, Boucaux ne touchera pas les dommages et intérêts qui lui avaient été alloués et ne pourra plus revenir à Paris ni retourner dans une colonie des Antilles (peut-être par peur d'une menace de désordre ou de révolte). Malheureusement, comme pour Boucaux, l'administration royale interviendra par la suite pour ordonner l'arrestation et la reconduction aux colonies de tous les esclaves libérés après avoir pétitionné pour leur liberté.

    Peu de temps après le procès Boucaux contre Verdelin, en réaction, la Déclaration de 1738, qui durcit la législation, est publiée.

    ¤ En 1759, l'arrêt Francisque de Pondichéry [esclave] contre sieur Brignon [maître], qui reconnaît la liberté de l'esclave, crée un précédent pour les futures plaintes pour la liberté (arrêt de principe). Il entraîne une série d'actions en justice, dans les années 1760 à 1770, résultant toujours en la libération de l'esclave.

    Dans cette affaire, la défense argue que l'Edit de 1716 et la Déclaration de 1738 ne s'appliquent qu'aux esclaves noirs ("nègres"). Or, Francisque est noir Indien. Les avocats exposent donc les différences entre les nègres et les Indiens.

    Dans la définition de "nègre" des dictionnaires du 18e siècle, soit le terme est associé à "noir africain", soità "esclave noir". La définition reprise dans l'Encyclopédie, elle, associe directement "nègre" à "esclave". Seul le dictionnaire de l'Abbé Prévost, "Manuel Lexique", distingueles deux sens (= personne de peau noire, mais désignant généralement les esclaves noirs).

    Les avocats de Francisque soulignent les différences entre l'Inde et les pays africains, en précisant que contrairement aux africains, les indiens sont civilisés, et que physiquement, ils diffèrent d'eux et se rapprochent des européens (cheveux, nez, lèvres).

    ¤ Le 30 mars 1762, dans l'affaire Louis contre J.J. Le Fèvre, l'Amirauté de France rend un jugement en faveur d'un métis, Louis, contre son maître, J.J. Le Fèvre. Il obtient sa liberté et des dommages et intérêts.

    ¤ En 1770, dans l'affaire Roc contre Pouchet, Henrion, dans son mémoire en défense, est le premier avocat dans ce genre d'affaire à critiquer avec virulence l'institution même de l'esclavagisme, au lieu de la voir comme une fatalité ou comme un mal nécessaire. En effet, c'est le premier à aller plus loin que le Principe du sol libre dans ses arguments, puisque le Principe du sol libre tolère l'esclavage en dehors de France, tandis que Henrion ne le tolère nul part, et prône l'abolition générale. En outre, tout comme Montesquieu, dans l'Esprit des Lois, il considère que l'esclavage corrompt l'esclave et son maître. Henrion de Pansey est certainement le premier abolitionniste en France, et son plaidoyer abolitionniste circulait dans Paris à peu près à la même période où Granville Sharp défendait l'affaire Somersett (*), à Londres. [ (*) 1772 : la Cour anglaise statue que l'esclavage est illégal en Angleterre (mais pas dans l'empire britannique), à l'issue du procès qui voit la libération de l'esclave Somersett.]

    Selon Henrion, dans son mémoire dans l'affaire, Louis XIII n'aurait permis l'esclavage dans les colonies françaises que parce que l'Eglise catholique l'aurait persuadé que c'était la seule façon de convertir les Africains (cf.il cite "Nouveau voyage en Amérique du Père Labat").En cela, contrairement aux avocats des célèbres affaires précédentes, Henrion rend l'Eglise catholique responsable de l'instauration de l'esclavage au 17e siècle en France, et pas de l'abolition, au Moyen-âge.

    ¤ De juin 1771 à juillet 1775, l'Amirauté de France est dissoute et les esclaves à Paris n'ont alors plus aucun recours.

    ¤ Le mouvement anti-esclavagiste promu par quelques avocats...

    En 1776, l'avocat Des Essarts dans l'Affaire Pampy & Julienne, imprime des mémoires du procès puis les rend publiques dans les rues de Paris, pour promouvoir l'anti-esclavagisme. En 1770, Henrion de Pansey avait aussi publié son mémoire. Le ministre de la Marine, Sartine, rapporte que de tels mémoires étaient éparpillés à profusion dans Paris, rendant publiques les jugements de la Cour de l'Amirauté et informant les noirs qu'ils étaient égaux de ceux qu'ils pensaient devoir servir.

    C'est un mouvement anti-esclavagiste en France, 10 ans avant la création de la Société des Amis des Noirs (1788).

    Source : "There are no slaves in France", de Sue Peabody.