• La Chine en Afrique (1) - Le Nigéria

    La Chine en Afrique - Le Nigéria

    Article écrit par le gouverneur de la Central Bank of Nigeria, M. Lamido Sanusi Lamido ; initialement publié dans le journal “Financial Times”, puis repris dans le journal nigérian “This Day”, en mars 2013.

     

    Le Nigéria, un pays avec un marché intérieur de plus de 160 millions de personnes, consacre d'énormes ressources à importer des biens de consommation en provenance de Chine qui devraient être produits localement. Nous achetons des textiles, des tissus, des articles en cuir, du concentré de tomate, de l'amidon, des meubles, de l'électronique, des matériaux de construction et des produits en plastique. Je pourrais continuer.

    Les Chinois, d'autre part, achètent du pétrole brut du Nigéria. Dans une grande partie de l'Afrique, ils ont mis en place d’énormes opérations minières. Ils ont également construit des infrastructures. Mais, à quelques exceptions près, ils l'ont fait en utilisant un équipement et main-d'œuvre importée de Chine, sans transfert de compétences aux communautés locales.

    Ainsi, la Chine prend nos biens primaires et nous vend des biens manufacturés. C’était également l'essence même du colonialisme. Les Britanniques sont allés en Afrique et en Inde pour se garantir des matières premières et des marchés. L'Afrique s'ouvre désormais elle-même  volontiers à une nouvelle forme d'impérialisme.

    L’époque du Mouvement des Non-Alignés, qui nous a unis après le colonialisme, est révolue. La Chine n'est plus une économie sous-développée - elle est la deuxième plus importante, capable des mêmes formes d'exploitation que l'Occident. Elle contribue de façon importante à la désindustrialisation et au sous-développement de l'Afrique.

    Mon père était ambassadeur du Nigéria à Pékin, au début des années 1970. Il adorait la Chine de Mao Zedong, qui était celle, pour lui, où un Africain noir – perçu partout ailleurs à l'époque comme inférieur - était digne de respect.

    Son expérience n'est pas unique. Une vue romantique de la Chine est assez fréquente dans les imaginaires africains - y compris le mien. Avant son séjour à Beijing, il était l’europhile typique, engagé dans une vision du "progrès" africain, défini par la reproduction de la manière occidentale de faire les choses. Par la suite, quand il est devenu secrétaire permanent au ministère des Affaires extérieures, l'influence de la position anti-coloniale de la Chine se reflétait sur sa politique étrangère : du soutient des mouvements de libération dans les colonies portugaises, à la contestation du régime de l'apartheid en Afrique du Sud.

    Cet amour africain pour la Chine est fondé sur une vision du pays en tant que sauveur, partenaire, et modèle. Mais le fait de travailler comme gouverneur de la banque centrale du Nigeria m'a donné à réfléchir. Nous ne pouvons pas blâmer les Chinois, ou toute autre puissance étrangère, pour les problèmes de notre pays. Nous devons nous blâmer pour nos escroqueries aux subventions de carburant, pour les vols de pétrole dans le delta du Niger, pour avoir négligé l'agriculture et l'éducation, et pour notre tolérance sans limite de l'incompétence. Cela dit, il s'agit d'une condition préalable essentielle pour le développement au Nigeria et dans le reste de l'Afrique, que l'on retire les lunettes teintées de rose à travers lesquelles nous percevons la Chine.

    Il y a trois décennies, la Chine avait un avantage significatif sur l'Afrique avec son coût bon marché de la main d’œuvre. Elle est en train de perdre cet avantage à mesure que son économie se développe et que la prospérité se propage. L'Afrique doit saisir l’opportunité. Nous devons encourager un transfert de la consommation de produits fabriqués en Chine à la consommation de produits fabriqués au Nigéria. Nous devons ajouter de la valeur à nos propres produits agricoles. Le Nigéria et d'autres pays producteurs de pétrole doivent affiner le brut; construire des industries pétrochimiques et utiliser les réserves de gaz - à l'heure actuelle souvent gaspillées dans le torchage des puits de pétrole - pour la production d'électricité et les industries à base de gaz, telles que la production d'engrais.

    Pour que l'Afrique se rende compte de son potentiel économique, nous avons besoin de construire des infrastructures de première classe. Cela devrait servir une vision afro-centrique des politiques économiques. Les nations africaines ne se développeront pas en vendant des produits à l'Europe, l'Amérique et la Chine. Nous pouvons ne pas être en mesure de rivaliser immédiatement dans la vente de produits manufacturés vers l'Europe. Mais à court terme, avec la bonne infrastructure, nous avons un énorme marché intérieur. Ici, nous devons voir la Chine pour ce qu'elle est : une concurrente.

    Il faut non seulement produire localement des biens dans lesquels nous pouvons construire un avantage comparatif, mais aussi activement lutter contre les importations chinoises encouragées par les politiques prédatrices. Enfin, bien que la main-d'œuvre africaine soit moins cher qu’en Chine, la productivité reste très faible. L'investissement dans l'enseignement technique et professionnel est essentiel.

    L'Afrique doit reconnaître que la Chine - comme les Etats-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, le Brésil et le reste - est en Afrique, non pour les intérêts africains, mais pour les siens. La romance doit être remplacée par une impitoyable réflexion économique. L'engagement doit se dérouler dans des conditions qui permettent aux Chinois de faire de l'argent, tout en développant le continent, comme des incitations à fabriquer sur le sol africain et des politiques visant à garantir l'emploi des Africains.

    Etant le fils de mon père, je ne peux pas recommander un divorce. (…) Nous pouvons rester ensemble - mais au moins, (que ce soit sans) illusions.

    Source : http://allafrica.com/stories/201303190729.html