Tout comme les hommes noirs, les femmes noires vivent dans des quartiers éloignés des opportunités d’embauche et comprenant des écoles dont les résultats sont mauvais. Tout comme les femmes blanches, les femmes noires connaissent la ségrégation professionnelle, l’écart salarial et le défi de concilier la vie de famille et le travail. Elles sont discriminées parce qu’elles sont noires. Elles sont discriminées parce qu’elles sont des femmes. Elles sont discriminées car elles sont les deux.
Ce double handicap a un grand impact sur les familles noires et sur la communauté noire dans son ensemble car les salaires des femmes noires constituent une part importante du revenu familial noir. En raison des perspectives économiques limitées pour les hommes noirs, les femmes noires sont susceptibles d'être à la fois les principaux dispensateurs de soins primaires et les soutiens de famille des familles afro-américaines. Dans près de 44% des familles afro-américaines avec enfants, une femme est le principal soutien de famille (celle qui apporte l’argent). Cela comprend les familles dirigées par des mères célibataires qui travaillent et les familles de couples mariés dont l'épouse travaille mais pas le mari. Ces familles où c’est la femme qui soutient la famille représentent plus de 32% du revenu familial noir total. En revanche, dans tous les groupes raciaux et ethniques, les familles où le soutien de famille est une femme ne représentent que 24% de toutes les familles avec enfants et ne comptent que pour 14% du revenu familial total. Ainsi, l'écart salarial entre les sexes et le manque d'opportunités du marché du travail a un impact plus important sur le bien-être économique des familles noires que sur d'autres groupes.
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En dépit d’une historiquement forte population active, et malgré des avancées au niveau de l’éducation et du statut professionnel, les femmes noires gagnent moins que les hommes noirs, les femmes blanches, et les hommes blancs. En 2005, pour les mêmes heures travaillées, elles ont gagné 85 cents pour chaque dollar gagné par une femme blanche, 87 cents pour chaque dollar gagné par un homme noir, et 63 cents pour chaque dollar gagné par un homme blanc. En 2006, plus de 13% des femmes noires actives étaient des pauvres, contre 5% des femmes blanches, 7,7% des hommes noirs, et 4,4% des hommes blancs. Leur taux de chômage est presque le double de celui des femmes blanches et des hommes blancs.
Ces statistiques sont particulièrement déprimantes parce qu’un peu plus de trois décennies en arrière, les femmes noires gagnaient 96 cents pour chaque dollar gagné par une femme blanche. Entre 1975 et 2000, les revenus médians des femmes blanches ont augmenté de 32% tandis que ceux des femmes noires n'ont augmenté que de 22%. Cette expérience récente contraste fortement avec les avancées acquises dans les années 1960 et 1970 lorsque la croissance du revenu chez les femmes noires a dépassé celle d’autres groupes grâce à l'amélioration du niveau des femmes noires dans l’éducation et l'élimination des obstacles discriminatoires les plus flagrants à l'emploi et à la mobilité professionnelle.
Qu'est-ce qui a interrompu cette trajectoire ascendante? Les changements technologiques et la concurrence mondiale ont augmenté le montant de la prime payée aux travailleurs qualifiés aux États-Unis, au cours des années 1980 et 1990 et, bien que la proportion de femmes noires ayant un diplôme universitaire ait augmenté, un écart racial du niveau de scolarité persiste. En 2007, 19% des femmes noires de 25 ans et plus avaient un diplôme universitaire comparativement à plus de 30% de femmes blanches.
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Un autre facteur qui a contribué à une diminution du ratio des revenus entre femmes noires et femmes blanches a été l’augmentation de la participation à l’emploi chez les femmes blanches. Cette croissance de la participation à l’emploi des femmes blanches couplée à une diminution de la population active des jeunes femmes et mères célibataires noires, a érodé l'avantage des femmes noires quant à l’expérience de travail. En 1972, le taux de participation à l’emploi des femmes blanches était de 42,7%, et pour les femmes noires, de 51,2%. En 2000, la différence entre femmes noires et blanches dans les taux de participation à l’emploi s’était presque évaporé: 60% des femmes blanches étaient sur le marché du travail, comparativement à 65% des femmes noires. Chez les femmes plus jeunes, celles âgées de 16 à 24 ans, et chez les femmes âgées, celles de 45 ans et plus, les taux de participation à l’emploi des femmes blanches ont dépassé celles des femmes noires en 2006.
Enfin, la législation pour l'égalité des chances à l'emploi (OEE, « Equal Employment Opportunity ») et son application ont contribué aux avancées des années 1960 et 1970, tandis que le retrait/repli plus récent de cette politique a creusé les écart plus importants d'aujourd'hui. Dans les années 1960, l'OEE avait permis aux femmes noires avec des diplômes d'études secondaires de quitter le travail domestique pour des emplois mieux rémunérés comme les secrétaires, dactylographes, sténographes et. Les femmes instruites à l’université occupaient des postes de gestion, en particulier dans le secteur public. Les compressions d’effectifs dans les années 1980 contribuent à expliquer le manque de mobilité ascendante pour les femmes noires dans le travail de bureau/secrétariat et leur exclusion continue de postes de direction bien rémunérés dans le secteur privé.
Bien que les enquêtes auprès des employeurs montrent que ceux-ci sont moins réticents à embaucher les femmes noires que les hommes noirs, il existe des preuves de discriminations actuelles à l’embauche. Les jeunes femmes noires prennent plus de temps à trouver leur premier emploi et connaissent davantage d'épisodes de chômage que les jeunes femmes blanches. Dans les données de l'Enquête Longitudinale Nationale sur les Jeunes, au cours des 26 années observées, 29,5% des femmes noires ayant un diplôme d'études secondaires mais pas de diplôme d'études supérieures ont connu 10 épisodes ou plus de chômage, comparativement à seulement 13,5% des femmes de race blanche ayant le même parcours scolaire .
La discrimination à l'embauche a des conséquences à long terme. Quand une jeune femme obtient enfin son premier emploi, elle aura accumulé moins d'expérience professionnelle que son homologue blanche du même âge et aura donc un désavantage salarial qui persiste dans sa vie professionnelle. En outre, la discrimination est source de stress, et le stress contribue à l’obésité et à une mauvaise santé. Une mauvaise santé limite la participation à l’emploi, surtout au fur et à mesure que les femmes vieillissent. Les femmes âgées noires auraient probablement des taux de participation à l’emploi plus élevés que les femmes blanches si elles étaient en meilleure santé.
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Si les femmes noires sont confrontées à un double coup dur sur le marché du travail, les mères célibataires noires font face à une triple pénalité. Les femmes avec enfants sont moins bien payées que les femmes sans enfants ayant les mêmes qualifications. Cette différence de traitement peut s’expliquer par des différences de caractéristiques/traits que les employeurs peuvent observer, mais pas les chercheurs - comme les retards, l'absentéisme, ou get-up-and-go - mais il est également possible que les employeurs perçoivent les mères comme peu fiables, même si elles sont tout aussi productives que les autres femmes.
Ajouté à ce désavantage est le stéréotype négatif des mères célibataires noires comme des «reines de l’assistance sociale." Tout comme le mouvement des droits civiques a ouvert de nouvelles possibilités d'emploi pour les femmes noires, il a également contribué à mettre fin à de nombreuses pratiques discriminatoires des États dans leur gestion du programme de l’Aide aux familles ayant des enfants à charge (AFDC). Avant les années 1960, les familles dirigées par des mères célibataires noires, en particulier dans le Sud, étaient sous-représentées parmi les bénéficiaires du programme, et, s'ils recevaient des prestations, ils en recevaient d’un montant inférieur à celles que les familles blanches recevaient. Comme le programme est passée sous contrôle fédéral direct dans les années 1960, la part des familles noires bénéficiaires d'aide sociale a augmenté, et l'image publique/ populaire du destinataire de l’aide sociale est passé de celle d'une noble femme blanche veuve aux prises avec les tâches ménagères et l'éducation des enfants à celle d’une adolescente célibataire noire qui a des bébés pour recueillir l’aide sociale parce qu'elle est trop paresseuse pour travailler.
Ce stéréotype était une représentation inexacte de la personne assistée sociale moyenne/type. La plupart des bénéficiaires d’aide sociale en bénéficiait de façon intermittente, quand les emplois à faible rémunération dont ils étaient titulaires ne leur permettaient pas, faute d’être rarement employés assez longtemps, d’avoir droit à l'assurance-chômage. La preuve que l’aide sociale encourageait les femmes noires à avoir des enfants en dehors du mariage n'a jamais été plus forte que quelques faibles corrélations. Néanmoins, l'image de la femme noire assistée sociale était assez forte pour entraîner le démantèlement du système de sécurité sociale fédéral, l'imposition d’exigences de travail, et un retour à un contrôle des Etats sous la loi de 1996 (reconduite en Février 2006), «Personal Responsibility and Work Opportunity Act»*. Le stéréotype peut aussi avoir influencé les employeurs au sujet des jeunes mères célibataires noires. Un propriétaire d'entreprise m'a dit une fois qu'il aurait volontiers embauché un ex-détenu, mais pas un ancien allocataire de prestations sociales, parce que, a-t-il expliqué, "commettre des crimes exige de l'initiative." (* oblige les Etats à créer un programme de déclaration des nouveaux employés par les employeurs).
En dépit de ces stéréotypes, de nombreux bénéficiaires d'aide sociale ont d'abord été en mesure d’obtenir un emploi faiblement rémunéré. Le programme d'Aide Temporaire aux Familles Nécessiteuses (TANF), qui a remplacé le programme AFDC, imposait des exigences de travail à ses bénéficiaires, mais la raréfaction de l'offre sur le marché du travail, l'expansion de l'Earned Income Tax Credit (EITC) (Crédit d'Impôt sur les Revenus du Travail, visant à rendre le travail des personnes peu qualifiées plus rémunérateur et encourageant ceux qui travaillent à temps partiel à travailler à plein temps) et le maintien des soutiens de travail ont facilité le parcours d'insertion professionnelle. Les femmes noires ont été plus lentes à quitter l'aide sociale que les femmes blanches et sont plus susceptibles d’y revenir.
En outre, les Afro-Américaines étaient plus susceptibles de se voir refuser des prestations en raison de sanctions qu'en raison de revenus et représentent une proportion plus élevée de femmes qui sont «déconnectés» du système de protection sociale
(définies comme des mères célibataires à faibles revenus, avec pas plus de 2000 $ en revenus de cas , pas plus de 1000 $ en revenus de l'assistance publique, et pas plus de 1000 $ en revenu familial à l’Allocation Supplémentaire au Revenu de Sécurité). Une étude de l’Institut de Brookings estime que 29% des mères célibataires déconnectées en 2005 étaient noires ou non-hispaniques. Et si la loi de 1996 a permis à de nombreuses mères célibataires de retrouver un emploi, le taux de pauvreté des familles avec une mère célibataire demeure obstinément élevé à 42,1% pour les enfants blancs, et 49,4% pour les enfants noirs en 2007.
La pièce maîtresse de la politique anti-pauvreté de l'administration Bush est Healthy Marriage Initiative. Cette approche ne tient pas compte d'une réalité fondamentale pour les femmes noires. Le mariage n'a pas toujours été le moyen de sortir de la pauvreté pour les femmes noires comme cela l’a été pour les femmes blanches. L' Healthy Marriage Initiative suppose que les familles dirigées par des femmes célibataires noires sont pauvres parce que le chef de famille est célibataire. Cependant, la relation entre la pauvreté et la monoparentalité n'est pas si simple. Les mères noires célibataires ne sont pas plus susceptibles d'être pauvres parce qu'elles ne sont pas mariées. Elles sont vraissemblablement célibataires car, leurs conjoints probables, ont de mauvaises perspectives économiques. Pour les femmes noires et les hommes noirs, un bon travail peut être une condition préalable à un bon mariage.
Une politique de lutte contre la pauvreté qui a réduit la pauvreté chez les femmes noires est la Sécurité Sociale. Sans la Sécurité Sociale, plus de la moitié des femmes noires de plus de 65 ans auraient des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Avec la Sécurité Sociale, le pourcentage tombe à 27%. Cependant, la Sécurité Sociale est encore plus efficace dans la réduction du taux de pauvreté chez les femmes blanches. Sans Sécurité sociale, le taux de pauvreté chez les femmes blanches serait de plus de 50% ; avec la Sécurité Sociale, il tombe à moins de 10%.
La sécurité sociale est moins efficace pour réduire le taux de pauvreté des femmes noires pour deux raisons. Tout d'abord, les prestations reçues en vertu de la sécurité sociale sont basées soit sur ses propres revenus ou sur ceux de son conjoint. Une femme noire et une femme blanche avec le même historique de revenus peuvent recevoir des prestations mensuelles différentes parce que le mari noir de la femme noire gagne moins que le mari blanc de la femme blanche. Deuxièmement, la baisse du taux de nuptialité chez les femmes noires signifie qu’elles seront moins nombreuses à être admissibles en fonction du bénéfice d'un conjoint, en arrivant à la retraite. En 2006, 55% des femmes noires de plus de 65 ans avaient droit à des prestations seulement en tant que travailleuses, 20% y avaient doublement droit, et 25% y avaient droit en tant que femme ou veuve d'un travailleur. Parmi les femmes blanches, 38% y avaient droit en tant que travailleuses seulement, 31% y avaient doublement droit, et 31% y avaient droit en tant que femme ou veuve d'un travailleur. Les femmes y ayant droit en tant que travailleuses reçoivent une prestation moyenne inférieure car les femmes ont historiquement moins gagné que les hommes. En 2006, la prestation moyenne pour une femme noire y ayant droit en tant que travailleuse seulement n'est que de 828 $ alors que la prestation mensuelle moyenne pour une femme noire qui y a doublement droit est de 919 $. Cet écart serait plus grand si la progressivité des prestations de la Sécurité sociale n'atténuait pas les effets de la discrimination raciale et sexuelle sur le marché du travail. Par conséquent, il est important pour les femmes noires que cette progressivité soit maintenue, voire augmentée.
Aucun des candidats présumés des deux principaux partis ont manifesté leur intérêt à revisiter la réforme de l'aide sociale. Aucun des deux candidats n’a proposé un plan spécifique pour la réforme de la sécurité sociale. Barack Obama a proposé des initiatives pour augmenter le salaire net des travailleurs et développer le travail en charge, y compris l'augmentation du salaire minimum fédéral (plus de 949.000 femmes noires gagnent un salaire inférieur ou égal au minimum fédéral), l'élargissement de l’Earned Income Tax Credit, et élargir et rendre remboursable le crédit d'impôt pour frais de garde d'enfants. John McCain propose un crédit d'impôt remboursable non négligeable sur l'assurance maladie. Alors qu’un élargissement des crédits d'impôt remboursables sont susceptibles de bénéficier aux familles dirigées par des femmes noires, les femmes noires doivent se soucier autant des plans des candidats sur les dépenses que de leurs politiques fiscales. Les réductions/coupes dans les services sociaux ont un impact sur les femmes noires à la fois comme destinataires de ces services et aussi en tant que fournisseurs. Les femmes noires sont employées de manière disproportionnée dans l'administration publique et dans la prestation des services sociaux.
Les femmes noires font face à plusieurs des mêmes problèmes que les femmes blanches, que les hommes noirs, et que les travailleurs en général, mais ces problèmes sont aggravés par l'intersection de la race et le sexe. En outre, les femmes noires souffrent non seulement de la charge de leurs propres obstacles à l'emploi, mais aussi de l'absence de sécurité économique chez les hommes noirs, et ce troisième fardeau qui, comme l’économiste et présidente d’université Julianne Malveaux a récemment observé, est «la raison pour laquelle les femmes afro-américaines ne peuvent pas séparer les intérêts de la race et les questions de genre dans l'analyse des candidats politiques, des réalités économiques, ou des réalités sociales et culturelles. "Les femmes noires peuvent partager des agendas/programmes politiques avec les hommes noirs et les femmes blanches, mais il est important que les impacts spécifiques des politiques sur les femmes noires ne soient pas ignorés tandis que nous poursuivons des objectifs communs.
Source : http://prospect.org/article/black-women-unfinished-agenda