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(VERSION DETAILLEE)
1/ Le 3 septembre 1776, Louis XVI produit des lettres patentes décriant la prolifération des affaires en justice dans lesquelles des noirs agissent pour obtenir leur liberté. Ces lettres patentes sont, pour la première fois, anti-noirs, et suspendent toute action en justice pour s'affranchir. L'administration finit par reconnaître que la majorité des noirs amenés en France ne l'est pas pour recevoir une instruction religieuse ni pour apprendre un métier, mais pour être domestique. Le terme "noir" va alors remplacer celui de "nègre" dans les documents officiels, afin d'englober à la fois les noirs affranchis et les noirs esclaves. Ces lois sont enregistrées par le Parlement de Paris pour éviter l'échec des législations antérieures. Elles préparent la voie à la future (loi) "Police des Noirs".
2/ Poncelet de la Grave (procureur du Roi) propose la création d'une commission indépendante qui jugerait le statut des noirs, ainsi que la création d'hospices qui accueilleraient les domestiques noirs à leur arrivée en France. Le garde des Sceaux, Miromesnil, n'approuve pas l'idée de la commission ni des hospices et estime qu'une nouvelle législation, fondée sur les lois de 1716 et 1738, sera suffisante pour régler le problème, à condition qu'elle soit enregistrée par tous les tribunaux du royaume.
3/ Le 8 septembre 1776, un arrêt du Conseil d'Etat met en place une commission chargée de rédiger une législation relative au problème des Noirs. La commission produit une proposition de loi interdisant l'entrée des Noirs en France, sans quoi, ils seraient renvoyés aux colonies. Des exceptions subsisteraient pour les esclaves domestiques qui séjourneraient dans des "dépôts", dans les ports, le temps d'embarquer sur un navire de retour. Les Noirs de France, quant à eux, pourraient rester en France, car s'étant accoutumés aux mœurs, ils ne pourraient qu'apporter un esprit d'insubordination et de désordre aux colonies, qui serait néfaste pour le contrôle des autres noirs. --> La proposition de loi vise "l'extinction" (pas "l'extermination") de la race des nègres du royaume, par l'interdiction de la venue de nouveaux Noirs et la difficulté accrue de pouvoir se marier entre Noirs en France.
4/ Le 16 avril 1777, Poncet de la Grave propose une ordonnance à l'Amirauté de France, qui est ratifiée, puis publiée dans les rues à Paris, à Bordeaux, à Rouen, enjoignant aux maîtres d'enregistrer leurs (domestiques) noirs, sous peine d'amende ; et enjoignant aux Noirs libres de faire de même (mais sans encourir de pénalités). Cependant, comme les autres fois, l'ordonnance n'a pas beaucoup d'effets, et seulement 189 noirs sont enregistrés (après la prorogation du délai et l'augmentation du montant de l'amende).
5/ Le 7 août 1777, le projet final de la "Déclaration pour la Police des Noirs" est présenté au Parlement de Paris (cf. De Lamoignon) pour approbation. Le Parlement approuve tous les articles, sauf l'article 13 qui interdit les mariages interraciaux. Chardon (subordonné du Ministre de la Marine) propose alors qu'à la place, on interdise aux descendants de ces mariages interraciaux, jusqu'à la 4e génération, de pourvoir à des emplois publics ; mais apparemment, cet article a été supprimé vu qu'il n'apparaît pas dans la version finale signée par Louis XVI (9 août 1777).
6/ Le 9 août 1777, pour freiner l'arrivée des Noirs dans la capitale, l'administration royale promulgue la "Déclaration pour la Police des Noirs", qui interdit l'entrée sur le territoire de tous les Noirs/métis/et autres personnes de couleur, et instaure dans chaque port français un lieu de détention pour les esclaves dont les maîtres sont de passage en France. ** C'est la 1ère législation royale basée sur la couleur de la peau. En effet, la monarchie a dû contourner le refus du Parlement de Paris d'enregistrer une loi contenant le mot "esclave" ou "libre", en adoptant une terminologie raciale. Cette stratégie fonctionne et la Déclaration est enregistrée par le Parlement et l'Amirauté de Paris, le 5 septembre 1777.
Après la promulgation de la loi, Sartine (Ministre de la Marine, et ancien lieutenant général de police) ordonne à Joly de Fleury (Procureur général du Parlement de Paris) de prendre des mesures supplémentaires pour la publicité de la Police. Ainsi, en plus de la voie habituelle consistant pour un "crieur" à déclamer le texte dans les rues, Sartine demande à ce que la loi soit placardée dans les lieux les plus populaires et en suffisante quantité pour que tout le monde en ait connaissance.
¤ Les obstacles de la Police des Noirs...
- Presque aussitôt après sa promulgation, la Police des Noirs rencontre des obstacles.
1/ Le commandeur de la Marine de Bordeaux, Le Moyne, notamment, critique la loi en ce qu'elle ne différencierait pas, dans son application, les Noirs libres de naissance, les affranchis et les esclaves, et ne prendrait pas en compte le niveau de richesse ni la gradation de couleur de la peau.
2/ Le 7 septembre 1777 (soit seulement 2 jours après l'enregistrement de la loi), un arrêt du Conseil amoindrit les effets de la nouvelle loi, en allouant un délai supplémentaire de 2 mois aux maîtres ayant enregistré leurs esclaves, pour garder ceux-ci en France. On observe alors une augmentation des enregistrements des Noirs, en particulier à Paris. Le même phénomène se produit quand, par la suite, il sera demandé aux Noirs de porter des "cartouches" ou cartes d'identification : le nombre d'enregistrements augmentera en 1778 et 1783. Entre 1777 et 1789, 765 personnes de couleur sont enregistrées à Paris, auprès du clerc de l'Amirauté de France, ce qui démontre une nette progression du nombre de noirs depuis 1762.
3/ L'une des formes de résistance les plus vives contre la Police des Noirs provient des officiers de l'Amirauté, partout en France, puisque désormais, les maîtres peuvent déclarer gratuitement leurs esclaves.
4/ Une preuve de l'échec de la Police des Noirs est apportée par l'ordonnance du 23 février 1778, qui enjoint les capitaines des vaisseaux marchands à ne pas désembarquer les personnes de couleur sans avoir permis au clerc de l'Amirauté de faire son rapport, faute de quoi, ils encourront une amende de 500 livres et une interdiction de travail d'une durée de 3 mois.
¤ La mise en place de la Police des Noirs...
- L'une des conditions à la mise en place de la Police est l'établissement de "dépôts" où les noirs seront enfermés. Le but des dépôts est de placer les Noirs du jour de leur arrivée jusqu'à celui de leur départ, dans un lieu où ils ne seront pas assez nombreux pour fomenter une révolte et où ils ne seront pas traités comme des criminels. Or, Le Moyne, dans sa critique de la loi, soutient qu'à Bordeaux, le seul endroit où l'on puisse détenir les noirs est la prison. L'esclave y sera exposé aux maladies, et mélangé à des criminels qui pourront le corrompre. La mise en place des dépôts se passe néanmoins sans incidents, au début.
- Dès le 11 janvier 1778, tous les Noirs recensés doivent porter une carte d'identification (ou "cartouche"), sous peine d'être renvoyés aux colonies. Poncet de la Grave est à l'origine de cette mesure. Il préconise que chaque Noir porte une cartouche indiquant son nom, son âge, et le nom de son maître. Elle doit être présentée sur demande aux officiers compétents, et si l'esclave ne peut pas la produire, il sera fait prisonnier et interrogé. S'il est reconnu, il sera libéré avant d'être conduit au dépôt pour son expulsion et son maître paiera l'amende prévue.
¤ La Police et les demandes d'affranchissement...
- Une fois la Police des Noirs en application, la Cour de l'Amirauté a pour instruction de ne plus instruire de demandes pour être libre (cf. article 9). Toutefois, en 1778, Poncet de la Grave reçoit une demande et instruit l'affaire après la permission accordée par Sartine. La requérante obtient satisfaction puis d'autres Noirs s'engouffrent dans la brèche pour présenter une demande et ont gain de cause. (C'est une façon pour Poncet de la Grave et les autres de réaffirmer leur autorité.)
- L'instruction des demandes d'affranchissement par la Cour de l'Amirauté reprend comme avant la Police des noirs, alors précisément que cette loi et les lettres patentes du 3 septembre 1776, qui en préparaient la voie, visaient à éliminer ces contestations entre esclave et maître. C'est donc un échec de la loi sur ce point.
[* lettre patente (du Latin patens, patentis: ouvert) : lettres revêtues du grand sceau de l'état que le Roi adressait «ouvertes» aux parlements et par lesquelles celui-ci rendait public et opposable à tous un droit, un état, un statut ou un privilège ; elles s'opposent aux lettres de cachet, lettres "fermées" d'un cachet du Roi et qui contenait un ordre de sa part, généralement en vue de faire emprisonner un haut personnage]
Source : "There are no slaves in France", de Sue Peabody.