Ce n’est ainsi pas surprenant si tous les candidats à la présidentielle de 2011 ont fait de la crise énergétique la priorité absolue de leur programme. La pénurie d’électricité est d’autant plus insupportable si l’on considère la richesse des ressources énergétiques naturelles du Nigeria. Le pays est le sixième plus grand exportateur de pétrole au monde et dispose de réserves estimées à 37,5 milliards de barils. Le gaz naturel est abondant et ses réserves sont estimées à environ 5,2 trilliards de mètres cubes. Des réserves de charbon conséquentes complètent les divers combustibles fossiles existants et s’élèvent à 2,75 milliards de tonnes. Les sources d’énergie renouvelables sont également abondantes et comprennent les énergies hydraulique, solaire et éolienne ainsi que la biomasse.
Comme s’en sont aperçus les gouvernements nigérians successifs, la transformation de ces ressources en électricité en direction des ménages et des entreprises n’est pas aussi aisée qu’il n’y paraît. Le pays dispose d’une combinaison de centrales au gaz et de centrales hydrauliques qui fonctionnent rarement à pleine capacité. Peu d’installations ont été construites pendant la période du régime militaire et des troubles politiques et celles qui existaient se sont détériorées. Elles sont de plus régulièrement sujettes à des pénuries de gaz et de flux hydraulique. Le conflit dans le Delta du Niger a aggravé ces difficultés, les attaques d’activistes sur les oléoducs et gazoducs interrompant l’approvisionnement des centrales électriques. Par ailleurs, les facteurs environnementaux ne font qu’envenimer ces problèmes; les difficultés d’approvisionnement hydraulique des centrales ont été attribuées aux faibles niveaux d’eau du réseau hydraulique du fleuve Niger, conséquence du changement climatique. En théorie, les centrales nigérianes ont une capacité de production de 6 000 Megawatts de puissance par jour. En pratique, elles ne produisent que 3 500 MW, ce qui reste bien en dessous des 10 000 MW requis pour répondre à la demande énergétique des ménages et de l’industrie nigériane.
Les problèmes ne se limitent pas au stade de la production. Une partie de l’énergie produite est perdue dans le processus de transmission qui lie les centrales aux utilisateurs en bout de chaîne. Ceci est également attribué aux infrastructures de mauvaise qualité, de nombreuses lignes de transmission et de distribution n’étant pas entretenues. La mauvaise gestion et la corruption sont aussi mises en cause car le pays a investi des milliards de dollars dans le secteur de l’énergie sans recevoir un véritable retour sur cet investissement colossal.
Les conséquences de la pénurie d’électricité peuvent se voir à tous les niveaux. Les pannes de courant et les chutes de tension électrique sont préjudiciables au développement économique et social et à la qualité de vie de tous les Nigérians. Ceux qui peuvent se le permettre ont recours à des solutions alternatives pour se procurer de l’électricité, ce qui a des conséquences sévères sur l’environnement.
Un système d’approvisionnement électrique fiable est essentiel pour créer un climat favorable à la croissance industrielle. L’interruption des activités des entreprises due aux coupures de courant diminue leur productivité et par conséquent leurs profits. À l’heure actuelle, les entreprises doivent assurer leur propre approvisionnement en électricité pour éviter ce phénomène, ce qui augmente leurs coûts significativement. Nombre d’entre elles optent pour des générateurs diesel ou acheminent du gaz naturel directement dans leurs propres turbines. Selon l’Association des Constructeurs du Nigeria (Manufacturers Association of Nigeria), l’approvisionnement en électricité représente 30 à 40 % des coûts de production au Nigeria, comparé à 5 à 10% dans les pays disposant de réseaux électriques nationaux plus fiables.
“Fixer le prix des produits et services finaux devient ainsi problématique” a rapporté un consultant en investissement de Lagos. Les entreprises font effectivement payer le coût de l’approvisionnement en énergie aux consommateurs. Si la demande pour le produit n’est pas assez importante pour soutenir son prix élevé, l’entreprise ne peut pas prospérer. Il est ainsi impossible de quantifier le coût pour l’économie nigériane de toutes les entreprises et industries qui ont fermé, ont été relocalisées ou ne se sont jamais développées du fait de la pénurie d’électricité.
Les entreprises ne sont cependant pas les seules à subir de lourdes pertes en raison d’un accès irrégulier à l’électricité. Non seulement les citoyens nigérians doivent payer plus chers les biens et services aux entreprises qui tentent de recouvrer leurs coûts énergétiques, mais ils ont dû devenir leur propre fournisseur d’électricité. Quelque 60 millions de Nigérians possèdent des générateurs et dépensent 13 milliards USD chaque année pour alimenter leurs appareils. Dans un pays ou 70 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, cela représente une véritable ponction sur les ressources des ménages. Cette pratique a par ailleurs des effets négatifs sur l’environnement, la santé et la sécurité des personnes. Les millions de générateurs utilisant des combustibles fossiles émettent des gaz à effet de serre et d’autres polluants toxiques dans l’air. Les émanations qui s’échappent des générateurs tuent des douzaines de Nigérians chaque année et des éléments mal entretenus peuvent déclencher des incendies.
Il est permis d’espérer que le secteur privé réussira là où le secteur public a failli. En août 2011, le Président Goodluck Jonathan a dévoilé sa feuille de route pour la réforme du secteur de l’énergie, remettant à l’ordre du jour une privatisation qui avait été bloquée sous son prédécesseur. Conformément à la Loi portant réforme du secteur de l’énergie de 2005 (Electric Power Sector Reform Act, 2005), le gouvernement fédéral met en vente les actifs de la maintenant défunte, National Electric Power Authority (NEPA). Sept entreprises productrices d’électricité et onze entreprises de distribution seront vendues aux investisseurs répondant à l’offre du gouvernement et proposant les meilleures infrastructures technologiques. Des centaines d’acheteurs potentiels, nationaux et internationaux, sont intéressés par ces infrastructures. Sur un total de 929 offres, le Bureau des Entreprises Publiques (Bureau of Public Enterprises (BPE)) en a présélectionné 525 pour la première phase d’un processus de sélection qui devrait se terminer à l’été 2012.
Le BPE espère que les soumissionnaires qui auront remporté le marché investiront des capitaux privés dans la réhabilitation et la modernisation des centrales électriques pour qu’elles retrouvent leur capacité de production. Il souhaite ainsi permettre la création d’un marché de gros de l’électricité dynamique et compétitif. Les entreprises de distribution qui auront remporté l’offre sont supposées améliorer les infrastructures et accroître l’efficacité du réseau en augmentant les recouvrements et en diminuant les coûts.
Parallèlement, le gouvernement relâche son contrôle sur les prix énergétiques et espère ainsi attirer les acteurs du secteur privé pouvant devenir des producteurs d’électricité indépendants (ou PEI). En créant un marché viable, le gouvernement espère également persuader les compagnies pétrolières de vendre le gaz issu de l’extraction du pétrole aux centrales électriques au lieu de le considérer comme un produit dérivé inutile et de le brûler. La fin du contrôle des prix implique pour les consommateurs une augmentation du prix de l’électricité mais qui devrait cependant être bien en deçà du prix des alternatives énergétiques utilisées. Les prix plus élevés du gaz alimentant les centrales devraient limiter les problèmes de débit de gaz et pourraient aussi avoir des conséquences écologiques positives en mettant fin à la pratique du torchage, désastreuse pour l’environnement.
Le gouvernement conservera la propriété du secteur médian, souvent perçu comme un monopole naturel, mais la gestion du système de transmission devrait être cédée à des entreprises privées. L’État a prévu d’investir 3,5 milliards USD pour construire un nouveau « super réseau » ayant la capacité de fournir 14 000 MW d’ici la fin 2013.
La production d’électricité du Nigeria dépend largement du gaz mais environ 30 % de l’électricité du pays est d’origine hydraulique. Deux des compagnies en voie d’être privatisées gèrent des centrales thermiques. Les énergies solaire et éolienne sont exploitées à petite échelle et le gouvernement cherche à étendre leur utilisation et celle d’autres sources d’énergie renouvelable. Selon la Commission de l’Énergie du Nigeria, le montant élevé des investissements initiaux nécessaires et le manque d’expertise technique sont les principaux obstacles au développement des énergies renouvelables. Le Directeur Général A.S. Sambo pense qu’avec la dérégulation du secteur de l’énergie, les énergies renouvelables pourront devenir compétitives à moyen et long terme.
A côté de ces programmes nationaux, le Nigeria a par ailleurs rejoint les initiatives régionales de production électrique. Le Système d'Échanges d'Énergie Électrique Ouest Africain (EEEOA) de la CEDEAO a pour objectif de relier les réseaux électriques nationaux et de créer ainsi un marché de l’électricité harmonisé pour la région. Il s’agit d’exploiter la capacité et les ressources des 14 pays et de développer un réseau permettant de partager et de commercialiser la production d’électricité au-delà des frontières nationales. La CEDEAO mène par ailleurs des projets de recherche-développement sur les sources d’énergie électrique renouvelable à travers son Centre Régional pour les Energies Renouvelables et l’Efficacité Energétique (CEREEC) et l’Initiative pour l’Energie Solaire.
La feuille de route du gouvernement nigérian relative à l’électricité prévoit de mettre fin aux coupures de courant récurrentes d’ici à 2013 et de décupler la production d’électricité pour atteindre 40 000 MW à la fin de la décennie. Faire de ce projet une réalité est essentiel si le gouvernement veut atteindre son objectif qui est de compter le Nigeria parmi les 20 premières puissances économiques mondiales d’ici 2020. Le Nigeria connaît en effet une croissance économique parmi les plus rapides au monde ; il s’est rétabli rapidement de la crise financière mondiale affichant une croissance record du PIB réel de 8,4 % l’année dernière selon le Fond Monétaire International. Cependant, le pays est largement dépendant des exportations de pétrole et souffre de chocs budgétaires sévères lors des chutes brutales du prix du pétrole brut. La garantie d’un approvisionnement en électricité suffisant permettra une diversification des activités économiques et une large création d’emplois. Les rivalités économiques pouvant déboucher sur des troubles sociaux, cela renforcerait par ailleurs la cohésion sociale et la stabilité politique du Nigeria et de la région.
Source : http://www.portailouestafrique.org/news/%C3%A9clairer-le-nigeria